Retour à Cadres
CADRES

Entretien avec Ulrich Wilhelm, directeur général de la Bayerischer Rundfunk

02 décembre 2020
Entretien avec Ulrich Wilhelm, directeur général de la Bayerischer Rundfunk

Ulrich Wilhelm, le directeur général de la Bayerischer Rundfunk (Allemagne), échange avec Vanessa O’Connor, responsable des Relations avec les Membres germanophones de l'UER.
 
De quelle manière la pandémie a-t-elle touché la société allemande et l'organisme que vous dirigez, la Bayerischer Rundfunk (BR) ?

La situation sans précédent causée par la pandémie de coronavirus a non seulement bouleversé la réalité de nos employé.e.s d'une façon que personne n'aurait pu imaginer, mais elle s'est aussi et surtout traduite par l'instauration d'un état d'urgence pour la société, le public et le paysage audiovisuel. S'agissant en particulier de la place occupée par la BR sur le marché, depuis mars dernier le coronavirus a considérablement modifié les habitudes en matière de « consommation » de contenus audiovisuels : en effet, les mesures de confinement et la demande pour un journalisme de qualité ont fait augmenter l'écoute de la télévision, de la radio et d'Internet. Notre public a tout particulièrement apprécié la couverture indépendante que nous avons réalisée durant la crise.

Notre audience quotidienne a augmenté en moyenne de plus de 30 % et de plus de 20 % auprès des jeunes. Le nombre d'utilisateurs.rices de notre site br.de a fait un bond de presque 100 % en ce qui concerne notre offre de sujets d'actualité et de magazines. Quant à notre plateforme d'information BR24, elle a même enregistré une hausse de près de 500 %. La BR a été présente aux côtés de son public tout au long des derniers mois, apportant chaque jour la preuve de son utilité pour la société.

Quelles conséquences la crise a-t-elle eues sur vos processus décisionnels et la fixation des priorités, ainsi que sur votre personnel ?

La sécurité était notre priorité absolue. Nous avons mis sur pied une « task-force coronavirus » réunissant les membres de notre direction, ainsi que le médecin de l'entreprise. Cette task-force se réunit quotidiennement pour étudier des questions essentielles comme la sécurité au travail, les mesures de protection sanitaire ou le télétravail. Il est en effet essentiel, en période d'incertitude, de ne pas sous-estimer l'importance de la transparence.

Depuis l'aggravation de la crise, il est devenu encore plus important que les dirigeant.e.s communiquent avec leur personnel. Ce constat a-t-il fait évoluer la pratique managériale de la BR?

La crise a en effet mis les managers à rude épreuve, moi y compris. Notre rôle consiste d'une part à écouter, et d'autre part à donner des directives. Dernier élément, mais non le moindre, nous devons aussi faire preuve d'empathie et rester abordables. Je me suis donc efforcé d’être à l'écoute des inquiétudes du personnel, tout en expliquant aussi clairement que possible nos principaux objectifs. Au cours des derniers mois, j'ai envoyé au personnel de mon organisme une série de messages vidéo afin qu'il comprenne bien qu'il était au cœur de mes préoccupations, à l'instar de la mission qui nous est dévolue et qui consiste à satisfaire aux attentes de la société et de notre public.

En quoi la pandémie a-t-elle transformé votre organisme ?

Étant une institution bien établie en Bavière, la BR a non seulement la responsabilité de diffuser ses programmes sur toutes les plateformes, tout au long de la semaine, mais également d'être un partenaire majeur et fiable du secteur créatif. C'est en gardant cette exigence à l'esprit que nous avons conçu de nouveaux formats comme « BR KulturBühne » (La scène culturelle de la BR), qui a vocation à rapprocher la culture du public tout en offrant une scène aux artistes et aux professionnel.le.s de la culture en Bavière.  

La crise a durement frappé le monde culturel : au cours des derniers mois, un grand nombre de travailleurs.ses indépendant.e.s ont pâti de la fermeture précipitée des théâtres, des salles de spectacles et des musées. Or, nous croyons qu'un monde créatif dynamique et prospère a un rôle essentiel à jouer, s'agissant d'aider notre organisme à assumer la mission qui lui est conférée tant maintenant que dans l'avenir, une fois la pandémie terminée. La BR est par conséquent déterminée à entretenir un partenariat durable et solide avec les producteurs et productrices indépendantes, aussi longtemps que durera la pandémie de coronavirus.

Quels sont les principaux enseignements que vous avez tirés jusqu'à présent de la crise ?

Comme bon nombre d'autres organismes de médias de service public européens, la BR fait partie des sources d'information jugées les plus dignes de confiance, ce qui fait augmenter ses chiffres d'audience. Nous dispensons chaque jour des conseils à notre public, nous lui apportons une aide pratique, nous avons proposé des programmes éducatifs pendant la crise et réalisé des programmes de divertissement d'excellente facture. Compte tenu des taux d'audience record que nous avons enregistrés, tant sur nos plateformes linéaires que non linéaires, nous nous félicitons d'avoir réussi à créer un studio et un espace de rencontre virtuels, car nous avions à cœur de surmonter ensemble les difficultés posées par la crise. Nous pouvons faire fond sur cette dimension communautaire et mettre en avant le rôle des MSP en tant que plateformes et espaces de rencontre ouverts et numériques.

La situation actuelle met aussi en lumière nos atouts, au premier rang desquels notre contribution à la société et la mission de service public qui nous est conférée par la loi. La BR est un organisme non commercial et fondé sur des valeurs, qui entend répondre aux besoins de la société dans son ensemble en mettant à sa disposition des programmes de qualité, indépendants et non commerciaux, qui reflètent toutes les facettes de la vie. Ce faisant, elle contribue à édifier une vie meilleure pour les personnes auxquelles elle s'adresse. Les MSP sont différents de leurs concurrents à vocation commerciale, et cette distinction ne saurait être contestée. Les MSP ne poursuivent aucun but lucratif et reposent sur un certain nombre de valeurs fondamentales, en vertu desquelles ils proposent des programmes distinctifs qui n'ont pas essentiellement ou principalement vocation à enregistrer des taux d'audience élevés. La situation actuelle montre qu'en fournissant des informations factuelles et des faits scientifiques éprouvés, reflétant une pluralité d'opinions, et en aidant le public à relever les défis posés chaque jour par le Covid-19, les MSP apportent une contribution concrète à la société, à leurs téléspectateurs.rices et à leurs auditeurs.rices.

Après dix ans à la tête de la BR, quels sont selon vous les grands défis qui découlent de la pandémie ? 

La crise du coronavirus a littéralement bouleversé notre couverture numérique. Dans le même temps, nous pouvons observer qu'à l'échelle internationale, ce sont essentiellement les grandes plateformes numériques qui en sortent gagnantes. Basées aux États-Unis, ces plateformes ont en effet vu leurs parts de marché augmenter sensiblement au cours des derniers mois. La crise du Covid-19 a donc confirmé une tendance qui se dessinait déjà : la technologie numérique envahit peu à peu toutes les facettes de notre vie, alors même que l'Europe dépend encore dans une large mesure d'opérateurs non européens. Selon moi, l'Europe voit son influence sur la sphère publique numérique rétrécir au moment même où cette sphère joue justement un rôle central dans la vie économique et sociale de notre continent. Non seulement ce phénomène fragilise la compétitivité économique européenne, et donc la prospérité de la société européenne, mais il représente également une grave menace pour les libertés individuelles et le droit à la vie privée, ainsi que pour les valeurs démocratiques de l'Europe. 

L'acatech, l'académie nationale allemande des sciences et de l'ingénierie, a publié à cet égard une analyse des conditions qui permettraient de créer une « Sphère publique européenne », analyse à laquelle j'ai contribué aux côtés de Henning Kagermann, ancien DG de SAP et président du conseil d'administration de l'acatech. Proposé par un groupe de projet réunissant des expert.e.s venu.e.s du monde des affaires et du secteur scientifique, ce document ne concerne pas que l’audiovisuel.

Notre principal argument est le suivant : l'Europe peut contrer cette tendance en créant un écosystème numérique qui même dans sa conception technique, respecte ses valeurs de transparence, d'ouverture et de protection de la vie privée. Cette « Sphère publique européenne » pourrait ouvrir un espace public numérique dont les conditions d'accès et d'utilisation seraient équitables. À terme, cette sphère pourrait alimenter le débat public et préserver la pluralité, laquelle fait partie intégrante de l'identité européenne. 

Pour les MSP, la priorité consisterait à trouver des moyens de s'affranchir des plateformes dominantes tout en soutenant activement des initiatives propices à la création de solutions alternatives intéressantes, telles que l'espace de l'UER dédié aux médias européens publics. La création d'une sphère publique européenne nécessite cependant l'appui de fournisseurs de technologies, d'institutions culturelles et pédagogiques, de la société civile et bien évidemment des médias publics et privés.

Liens et documents pertinents

Contact