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HISTOIRES

Un orchestre pionnier de la vie musicale britannique fête son 90e anniversaire

22 octobre 2020
Un orchestre pionnier de la vie musicale britannique fête son 90e anniversaire
Paul Hughes

Cette semaine, l’Orchestre symphonique de la BBC emmène ses auditeurs et auditrices à la découverte de neuf décennies de création musicale. Le concert est disponible dans le système MUS, sous le numéro SM/2020/09/38/01. Paul Hughes, directeur général de l’orchestre et du chœur depuis 1999, aborde les opportunités et les défis d’un orchestre radiophonique au 21e siècle.

 

Q : Sakari Oramo, votre chef d’orchestre principal, estime que son activité au sein de l’Orchestre symphonique de la BBC représente « le partenariat artistique le plus passionnant » de sa vie. Il apprécie particulièrement la richesse des programmes, qui associent de grands classiques à des œuvres plus confidentielles, mais tout aussi intéressantes. Comment le répertoire de l’orchestre a-t-il évolué depuis 1930 ?

Paul Hughes : Depuis sa création, l’orchestre a toujours eu à cœur, parallèlement à son répertoire d’élection, de faire connaître au plus grand nombre des œuvres méconnues et inédites au travers de diffusions d’une qualité irréprochable. Pour être à la hauteur de ses ambitions, la BBC se devait de créer son propre orchestre composé de membres permanents contractuels. Si elle veut perpétuer cette mission pour 90 années supplémentaires, il lui faudra suivre exactement la même ligne. La seule différence est que le champ de possibilités dont nous disposons aujourd’hui est nettement plus vaste. Je pense par exemple au chef Jules Buckley ou à la chanteuse Lianne La Havas, aux programmes réalisés avec les auteurs David Sedaris et Neil Gaman, ou encore à nos collaborations avec le monde du sport. Globalement, il s’agit de favoriser une programmation guidée par l’ouverture d’esprit, en misant sur la qualité et en faisant confiance à l’orchestre. Si je lui propose de collaborer avec les Monty Python pour leur 40e anniversaire, l’orchestre sait que la qualité sera au rendez-vous, qu’il va vivre une belle expérience, et que la prestation sera remarquée et remarquable.

Sakari apprécie beaucoup cette approche et n’hésitera pas à nous faire part de ses réticences éventuelles. Nous sommes enclins à privilégier les chefs comme lui, capables de mélanger les genres, par exemple en insérant une musique de film dans un programme pour le sublimer. En retour, ils nous permettent de continuer à développer le parcours artistique atypique de l’orchestre.

 

Q : Vous avez mentionné la richesse du répertoire. Le nombre de premières, des commandes pour la plupart, est à lui seul impressionnant ! Pratiquement tous les compositeurs dignes de ce nom du 20e siècle et contemporains sont représentés, parfois par plusieurs œuvres, de Vaughan Williams et Britten à John Tavener et John Adams.

Paul Hughes : Nous sommes probablement l’un des rares orchestres au monde qui, en examinant les programmes de la saison, se plaint du manque de musiques nouvelles ou de variété dans les compositeurs. Par conséquent, nous préférons les ajouter plutôt que de les retirer par crainte que le public ne vienne pas. Nous sommes les seuls à le faire et nous en sommes très fiers.

 

Q : Vous avez donné les premières de nombreuses compositrices. Considérez-vous l’orchestre comme un précurseur en matière de promotion de la musique issue de la diversité, notamment celle des compositeurs de couleur?

Paul Hughes : Je pense que la route est encore longue. Cela ne fait que commencer. Il est tout à fait passionnant de commander des œuvres mais aussi de découvrir des compositeurs de différentes origines ethniques, raciales et socioéconomiques, les voix d’aujourd’hui et de demain. Nous voulons leur donner la possibilité de composer pour la plus grande vitrine dont ils puissent rêver: un orchestre symphonique. Ces compositeurs doivent bénéficier d’une visibilité accrue.

Dans l’univers de la composition, peu importe que l’on vienne de Mars, de Vénus ou d’ailleurs : seul le talent compte ! Aujourd’hui, une femme peut tout à fait envisager une carrière de compositrice ou de cheffe d’orchestre, ce qui était pratiquement inconcevable au XIXe siècle, et c’est tant mieux ! Nous collaborons depuis de nombreuses années avec des compositrices comme Thea Musgrave et Judith Weir, Judith Bingham, Sally Beamish et, plus récemment, Helen Grime et Emily Howard. Ce sont elles qui créent les musiques les plus intéressantes, et pas seulement en Grande-Bretagne. La preuve avec Unsuk Chin, l’une de mes compositrices préférées.

Tout cela fait partie de notre mission au sens large. Nous sommes le seul orchestre radiophonique à agir de la sorte, en assumant les risques pour faire avancer les choses. Rien ne se passera si nous restons les bras croisés.

 

Q : Le fait d’être un orchestre radiophonique vous confère-t-il un avantage?

Paul Hughes : Je le pense. Notre relation avec la BBC, et donc avec l’UER, fait partie intégrante de cette vision. Même si nous ne faisons pas salle comble parce que notre programme comporte des œuvres inhabituelles ou méconnues, cette expérience artistique est démultipliée lors de sa diffusion. Les radiodiffuseurs partagent une grande partie de nos programmes par l’intermédiaire de l’Échange musical de l’UER, car ils considèrent qu’ils sont intéressants et importants. Au-delà du public nettement plus vaste auquel elle nous donne accès, notre relation avec l’UER est très précieuse à nos yeux, à bien des égards.

 

Q : Malgré les coupes budgétaires à la BBC, on peut penser que vous n’êtes pas soumis aux mêmes contraintes financières que d’autres orchestres symphoniques, dont le sort dépend des abonnés, des ventes de billets et des donateurs fortunés. Est-ce le cas, ou un orchestre radiophonique est-il confronté aux mêmes difficultés ?

Paul Hughes : Les défis sont à la fois similaires et différents, et l’Orchestre symphonique de la BBC n’est pas épargné par les restrictions budgétaires et les mesures d’austérité. Les ventes de billets jouent un rôle clé dans nos revenus, mais n’oublions pas que ce sont les personnes qui nous écoutent sur différentes plateformes qui constituent la majeure partie de notre public. Tout est une question d’équilibre : nous devons accomplir notre mission artistique fondamentale dans le respect des contraintes budgétaires, tout en offrant le meilleur rapport qualité-prix.

 

Q : On entend souvent dire que les orchestres radiophoniques sont voués à disparaître. Le service public fait-il des efforts spécifiques pour remédier à cette situation ?

Paul Hughes : Le système de redevance, ainsi que la valeur qu’accorde la BBC à ses orchestres et à ses chœurs, constituent une base solide qui autorise une certaine prise de risque au niveau du répertoire et des commandes, et permet la mise en œuvre d’un large éventail de projets d’apprentissage et de sensibilisation, afin de toucher des publics défavorisés. J’ajouterais que la BBC poursuit son engagement en faveur de la musique en direct, comme en témoigne son investissement dans le nouveau site de Stratford East Bank, qui sort de terre en ce moment même. La communauté dynamique et diversifiée qui gravite autour de ce nouveau bâtiment magnifique est tellement stimulante à nos yeux. Cela nous permettra de continuer à travailler de concert avec le Chœur de la BBC, les BBC Singers et nos amis des studios d’enregistrement de musique rock et pop.

 

Q: Parlez-nous un peu de la dimension internationale de l’orchestre.

Paul Hughes : Ces trois initiales liées à notre nom nous apportent une certaine notoriété, en particulier quand les gens disent « c’est l’orchestre qui joue "the Proms" et "the Last Night" ». De même, la collaboration avec des partenaires et des responsables de programmes idoines dans d’autres parties du monde donnent des résultats intéressants, comme les Dubai BBC Proms et les Japan Proms. J’affectionne les résidences qui permettent, par exemple, de conserver l’essence et les valeurs des Proms tout en les adaptant au marché local.

 

Q : Au fond, la marque BBC vous ouvre beaucoup de portes.

Paul Hughes : Absolument, et le fait d’être diffusés dans le monde entier via l’Échange musical de l’UER nous est particulièrement bénéfique. À mes yeux, il faut s’éloigner de l’image réductrice de l’orchestre « virtuel » que l’on peut écouter en allumant la radio ou l’ordinateur. Il faut aussi être en mesure de le voir physiquement et de ressentir la chaleur ambiante, comme ce fut le cas avec Sakari lors de notre tournée au Japon. Cette communion avec le public était tout simplement fantastique!

 

Q : Votre chef d’orchestre et votre cheffe invitée principale sont tous deux finlandais. Quel lien particulier vous unit à ce pays?

Paul Hughes : Lorsque j’ai rejoint l’orchestre pour la première fois, en 1999, il collaborait déjà régulièrement avec Osmo Vänskä et Jukka-Pekka Saraste. Au fil du temps, j’ai pris conscience de l’alchimie évidente entre nos musiciens et les artistes, les compositeurs et la musique de ce pays. Cette relation a grandi et s’est développée par la suite. Sakari Oramo nous a rejoints pour un cycle consacré à Sibelius, alors que nous cherchions un successeur à Jirí Belohlávek. Nous nous sommes rencontrés en octobre, et nous avons uni nos destinées en décembre. Normalement, je ne suis pas du genre à conseiller le mariage après le premier rendez-vous! Mais à la lumière du retour des musiciens, je savais que quelque chose d’extraordinaire était en train de se produire. Nous avons vécu une expérience similaire avec Dalia Stasevska, notre cheffe invitée principale. Après avoir fait deux concerts en studio avec elle, il s’est passé quelque chose de très spécial. À tel point que les musiciens sont venus me voir après les enregistrements en me disant « tu devrais l’engager ! ».

S’agissant des compositeurs finlandais, nous avons de grandes affinités avec Sibelius, mais apprécions aussi Esa-Pekka Salonen, Magnus Lindberg et Kaija Saariaho. Nous avons interprété leur musique à maintes reprises au fil des ans, car elle nous va comme un gant. C’est un univers sonore qui nous est familier et dans lequel nous aimons évoluer.

 

Q : Qu’en est-il des compositeurs britanniques contemporains ? Font-ils, eux aussi, partie de la mission de l’orchestre ?

Paul Hughes : Depuis des années, la BBC entend « faire connaître le Royaume-Uni dans le monde, et inciter le monde à s’intéresser au Royaume-Uni ». Cela n’est pas une responsabilité officielle, mais c’est un devoir et un plaisir de mettre en valeur nos compositeurs nationaux. Ils sont tellement nombreux ! C’est magnifique de voir l’orchestre travailler avec de jeunes compositeurs de 12 à 18 ans dans le cadre du programme Proms Inspire, en leur donnant la possibilité de voir un orchestre en action, d’échanger avec les musiciens et de découvrir leur façon d’aborder différentes situations, d’écrire certains passages ou de donner tel ou tel effet à un instrument.

Toutefois, je suis aussi conscient du monde qui nous entoure. Depuis sa naissance en 1930, l’orchestre a accueilli certains des plus grands compositeurs étrangers au Royaume-Uni, comme Hindemith, Webern, Berg, Stravinsky, De Falla et Poulenc. C’est une histoire exceptionnelle, que nous sommes heureux de perpétuer !

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