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HISTOIRES

« Le journalisme climatique est un moyen d’attirer les talents... »

03 novembre 2022
« Le journalisme climatique est un moyen d’attirer les talents... »

Entretien avec Manuela Kasper-Claridge, rédactrice en chef à la Deutsche Welle, réalisé par Alexandra Borchardt, autrice principale du News Report 2023 de l’UER, intitulé  « Climate Journalism That Works - Between Knowledge and Impact »

Quelle place occupe le climat dans votre couverture de l’actualité ?

Il a une place très importante et s’impose par son urgence croissante. Le climat touche toutes les régions que nous couvrons. C’est la question de notre époque. On peut espérer que les conflits qui frappent actuellement le monde prennent fin un jour, mais il est clair que la crise climatique et ses effets perdureront.

Est-ce un choix de la Deutsche Welle, en raison de sa dimension internationale ?

En effet, c’est un choix qui est aussi lié à notre mission et à notre audience. Nous témoignons des nombreuses sécheresses au Kenya et au Maghreb, des inondations extrêmes survenues en 2022 au Pakistan et assez fréquemment au Bangladesh. Nos publics en parlent beaucoup. S’ils n’ont pas toujours fait le lien avec la crise climatique, ils le font aujourd’hui plus souvent. Tout le monde le sait. Tout le monde le voit. En Europe, l’intérêt s’est accru depuis la COP21 à Paris en 2015. Les faits dramatiques qui y ont été présentés ont retenu l’attention. Mais la Deutsche Welle avait déjà intensifié sa couverture depuis longtemps.

Depuis quand ?

J’ai créé une rubrique sur l’environnement, intitulée Global Ideas, il y a douze ans. L’idée était d’élaborer un ensemble complet de contenus journalistiques multimédias et de supports éducatifs pour mettre en évidence les projets et les solutions les plus efficaces contre le changement climatique dans le monde. Nous voulions également inciter d’autres personnes à passer à l’action. Avec mon équipe, j’ai reçu de nombreux prix pour cette rubrique. Elle est maintenant traduite en six ou sept langues. L’un de mes principaux raisonnements a été le suivant : je ne viens pas du journalisme politique, mais du journalisme environnemental, économique et scientifique. Il m’a permis d’adopter d’autres approches que celle du journalisme politique classique.

Est-ce pour cette raison que vous avez été nommée rédactrice en chef ?

Cela a pu jouer un rôle.

Les rédactions se plaignent généralement que le public réclame de l’information environnementale, mais ne la suit pas vraiment. Comment faites-vous pour l’intéresser ?

Les formats que nous avons conçus pour les réseaux sociaux ont beaucoup de succès, de même que nos formats pour la télévision, réalisés en coopération avec des partenaires régionaux. C’est le cas de notre série Eco Africa, qui a finalement été adaptée pour six marchés. Aujourd’hui, elle est diffusée en français, en portugais, en anglais, en hindi, en tamoul et en brésilien. Les articles de presse, notamment de vulgarisation, marchent également très bien. Instagram et TikTok aussi sont de plus en plus importants.

Que savez-vous de vos « plus grands fans » ?

Les jeunes et les femmes sont très sensibilisé.e.s au changement climatique. En Afrique, de nombreuses femmes s’intéressent à la question. Elles sont durement touchées par les effets et cherchent des solutions. En Asie aussi, les femmes suivent régulièrement nos contenus sur le climat. Dans le monde entier, les jeunes se sentent très concerné.e.s. De fait, les personnes qui postulent à la DW nous indiquent souvent qu’elles nous ont choisis en raison de notre couverture sur l’environnement. Nos stagiaires viennent de toutes les régions du monde.

Un bon journalisme climatique est donc un outil de recrutement ?

Le journalisme climatique est clairement un moyen d’attirer les talents. Beaucoup me disent : je veux travailler dans un organisme qui propose des contenus comme les vôtres.

Quel est le type de journalisme qui marche le mieux ?

Un journalisme axé sur les solutions. Le sujet du climat est souvent traité de manière déprimante et négative. Les gens ne veulent plus de cela. Nous préférons nous intéresser aux personnes qui agissent pour améliorer les choses. C’est ce que le public apprécie. Les vidéos explicatives fonctionnent aussi très bien. Elles ne doivent pas être trop complexes, mais aborder les effets concrets sur les personnes. Nous avons un format pour les jeunes, qui a beaucoup de succès. Intitulé Planet A, il rappelle que nous n’avons qu’une seule planète. Dans ce programme, nos plus jeunes journalistes montrent, par exemple, comment la compensation carbone ne marche pas si bien ou comment la fast fashion contamine les rivières sacrées de l’Inde. Nos vidéos ont enregistré 36 millions de vues au cours des 18 premiers mois. Nous venons de lancer une chaîne sur TikTok, sous le titre Planet A.

Qu’est-ce qui ne marche pas du tout ?

Je n’ai pas le souvenir d’un échec total. Certaines vidéos marchent évidemment mieux que d’autres. Planet A a progressé lentement pendant la majeure partie de la première année, puis elle a soudainement décollé. Il faut de la patience. On ne réussit pas du premier coup. En ce qui nous concerne, nous avons dû personnaliser davantage le contenu, interviewer davantage de personnes et apporter une note plus divertissante.

Traitez-vous principalement le journalisme climatique comme un sujet scientifique, économique ou politique ?

En réalité, il intéresse toute la rédaction, car toute la société est concernée. Il exige une coopération de tous les départements : économique, scientifique et même culturel. Soixante collègues travaillent au service Environnement, dont nous avons augmenté les effectifs. Mais nous avons aussi des correspondant.e.s Climat dans les autres services. Nous travaillons beaucoup plus de manière transversale. Les personnels sollicités sont souvent les services Environnement ou Politique, mais aussi les services régionaux. Tout dépend de l’approche et de l’endroit.

Vous avez évoqué Eco Africa : créez-vous la plupart de vos formats de façon centralisée pour les adapter ensuite à certaines régions et cultures ou, au contraire, les concevez-vous pour un marché ou un public particulier ?

Nous n’avons pas de contenus adaptables à toutes les régions. L’Asie, par exemple, a ses propres enjeux, qui ne correspondent pas toujours à ceux de l’Afrique. La crise climatique est certes un problème mondial, mais il faut souvent axer ses sujets sur une région et sur un public. Et voir ensuite ceux qui reçoivent le meilleur accueil.

Comment faites-vous ?

Pour que ça marche, il faut être concret. Nos journalistes, rédacteurs et rédactrices font des propositions, écoutent les commentaires, étudient les thèmes d’actualité, puis nous en discutons. Nous faisons également en sorte de répondre aux besoins de nos publics. Nous les interrogeons régulièrement pour connaître leur opinion. Nous avons des correspondant.e.s sur le terrain, ainsi que des partenaires qui connaissent très bien les régions. Nous essayons d’être aussi proches que possible de nos publics. Ce n’est pas une bonne idée d’élaborer un contenu sur l’Afrique directement depuis son bureau en Europe. Pour faire un bon sujet, il faut une interaction permanente.

Participez-vous personnellement à ces discussions ?

Tout dépend du format et des dimensions. Pour les grands projets, j’y participe.

Comment évalueriez-vous dans leur ensemble les prestations de la Deutsche Welle en matière d’information climatique ?

Il est toujours possible de s’améliorer. Il faut avant tout faire preuve de constance. Lorsque l’actualité porte sur d’autres questions, comme la guerre en Ukraine, on a tendance à négliger la crise climatique...

La guerre a-t-elle favorisé ou entravé l’information climatique ? Les débats sur la sécurité énergétique, par exemple, sont importants.

La guerre n’a pas aidé, mais la question n’a pas été complètement oubliée, en raison de l’été caniculaire, marqué par des incendies et des inondations. Avec la guerre, le débat s’est en effet porté sur l’énergie, mais pas vraiment sur l’énergie verte.

Quel est le plus difficile en matière d’information climatique ?

Le fait que les informations soient très déprimantes. Où sont les bonnes nouvelles dans tout cela ? Pour y répondre, nous essayons de présenter le sujet différemment, de mettre l’accent sur les solutions, quelle que soit leur taille.

Et l’aspect politique ? Les médias sont souvent accusés d’être activistes et de prendre parti pour l’écologisme, lorsqu’ils privilégient le journalisme climatique.

Nos journalistes connaissent toutes et tous la différence entre activisme et journalisme. C’est très important.

Qu’en est-il des oppositions internes ?

Il y en a peut-être, mais pas à ma connaissance. Je pense que tout le monde est conscient de l’importance du sujet. Et en tant que journalistes, nous discutons toujours au préalable des aspects que nous devons mettre en lumière.

Avez-vous un guide de rédaction pour l’information climatique, comme le Guardian ?

Nous avons des consignes, publiées par le rédacteur ou la rédactrice en chef et le service Environnement. L’objectif est d’être clair et précis et d’exprimer l’urgence de la question. Nous utilisons le présent. Nous expliquons les crises climatiques. Nous nous interdisons tout langage apocalyptique. Mais ces consignes sont destinées à aider, pas à contrôler. Je ne fais pas la police.

Avez-vous des consignes graphiques ?

Non, mais nous le devrions peut-être. Les descriptions apocalyptiques, pourtant si fréquentes, ne sont pas toujours nécessaires.

Quelles sont vos prochaines étapes ?

Nous allons nous concentrer davantage sur le contexte, sur une information plus explicative. Nous souhaitons également élargir notre public et renforcer notre dialogue avec les jeunes.

Votre organisme mesure-t-il son empreinte carbone ?

Nous publions un rapport de durabilité tous les deux ans. Nous visons pour 2030 une réduction du CO2 de 30 % par rapport aux niveaux de 2019. Jusqu’à présent, nous sommes sur la bonne voie. Nous réduisons les voyages en avion, améliorons l’efficacité énergétique et réexaminons notre chaîne d’approvisionnement. Nous mesurons l’empreinte carbone de nos productions cinématographiques. Nous voulons être climatiquement neutres d’ici 2045.

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Jo Waters

Responsable de la communication de contenu

waters@ebu.ch