Cilla Benkö : Nous devons toutes et tous protéger la liberté de la presse
03 mai 2023Dans un article paru pour la première fois dans Expressen, Cilla Benkö, directrice générale de Sveriges Radio et membre du Conseil exécutif de l’UER, s’intéresse aux moyens de protéger la liberté de la presse, à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse.
Offrir un accès libre à l’information et permettre à toutes et tous de se faire entendre... ou non. Tel est l’enjeu fondamental de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. Et telle est la raison pour laquelle nous devons chérir et défendre le journalisme indépendant, tout spécialement en ces temps incertains, où il est de plus en plus menacé.
Le 3 mai est la Journée mondiale de la liberté de la presse. Cette année, l’accent est mis sur la liberté de la presse, condition indispensable à l’exercice des autres droits humains. L’urgence de la situation est évidente, la démocratie en tant que forme de gouvernement étant mise à mal dans un nombre croissant de pays. Selon le Varieties of Democracy Institute de l’université de Göteborg, le nombre de démocraties dans le monde est retombé à son niveau de 1986, et la liberté de la presse est souvent la première victime de l’effondrement d’une démocratie.
Nous le constatons depuis l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine. En Russie, les médias indépendants sont censurés, bloqués et fermés. Les journalistes indépendants sont également censurés. En mars dernier, Evan Gershkovich, journaliste américain au Wall Street Journal, a été arrêté et incarcéré à Ekaterinburg pour espionnage. Les forces russes ont pris le contrôle de l’information et la population russe en paie le prix.
Certaines tendances inquiétantes sont également présentes en Suède. L’université de Göteborg a effectué une enquête sur la société, l’opinion publique et les médias révélant qu’une majorité de la population suédoise est prête à accepter des atteintes temporaires à la démocratie pour régler des questions urgentes liées à l’environnement et au climat, à la pandémie, à la crise financière et à la criminalité. La guerre en Ukraine a secoué l’opinion publique et, avec le Covid-19, a modifié notre vision du monde.
Mais en ces temps troublés, il importe de se rappeler à quel point l’accès à une information libre et fiable est essentiel. En Suède, nous avons une longue et solide tradition de liberté de la presse, mais ce n’est pas le cas dans de nombreux pays. Nous ne devons donc jamais considérer la liberté de presse comme acquise. Il existe une forte demande d’information libre et indépendante. À la Radio suédoise, nous l’avons clairement observé lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février de l’année dernière : pas moins d’un demi-million de nouveaux auditeurs et de nouvelles auditrices ont souhaité écouter nos reportages en direct. Et cela, dans un pays ne comptant que 10 millions d’habitant.e.s.
À l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, je me rendrai en Autriche, en République tchèque et en Slovaquie pour rencontrer le personnel des ambassades de Suède dans le cadre d’une initiative commune visant à mettre en lumière l’importance capitale de la liberté des médias indépendants et de la sécurité des journalistes.
Plus de cinq ans se sont écoulés depuis l’assassinat de Ján Kuciak, le journaliste slovaque qui enquêtait sur des affaires de corruption et de fraude fiscale, et de Martina Kušnírová, sa fiancée. Ses investigations l’avaient conduit à un homme d’affaires bien connu, ayant des liens avec l’élite dirigeante du pays. Sa mort a donné lieu à d’immenses manifestations exprimant l’écœurement des Slovaques. Plusieurs juges, dirigeants politiques et responsables de la police ont dû démissionner à la suite de ces événements.
Les manifestations en Slovaquie ont confirmé un principe très important : nous devons toutes et tous protéger la liberté de la presse. Car les journalistes ne représentent pas qu’eux-mêmes, ils nous représentent tous. Ils posent les questions qui fâchent, critiquent les puissants et donnent la parole à celles et ceux qui autrement, peineraient à se faire entendre.
En conclusion, je voudrais citer l’historien américain Timothy Snyder, qui a assisté ce printemps à la conférence sur la liberté d’expression et la démocratie organisée par l’Académie suédoise. Interrogé sur la raison pour laquelle la liberté d’expression ne doit pas être limitée, en réprimant le mensonge par exemple, il a répondu :
« Ce ne sont pas les mensonges des puissants qui sont en danger, mais la vérité des personnes sans pouvoir. »
Voilà de quoi alimenter notre réflexion en cette Journée mondiale de la liberté de la presse.
Cilla Benkö, directrice générale de la Radio suédoise